Domaines des Comtes de Cognac
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 Manuel d'Épictète - Ἐπίκτητος

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MessageSujet: Manuel d'Épictète - Ἐπίκτητος   Manuel d'Épictète - Ἐπίκτητος EmptyMar 12 Juil - 12:43

Philippe travailla prestement pour escrire une copie du Manuel d’Épictète.

Ἐγχειρίδιον Επικτήτου

I
1.— Parmi les choses qui existent, certaines
dépendent de nous, d'autres non. De nous, dépendent la pensée,
l'impulsion, le désir, l'aversion, bref, tout ce en quoi c'est nous qui agissons ;
ne dépendent pas de nous le corps, l'argent, la réputation, les charges
publiques, tout ce en quoi ce n'est pas nous qui agissons.

2.— Ce qui dépend de nous est libre naturellement, ne connaît ni obstacles
ni entraves ; ce qui n'en dépend pas est faible, esclave, exposé
aux obstacles et nous est étranger.

3.— Donc, rappelle-toi que si tu tiens pour libre ce qui est naturellement esclave
et pour un bien propre ce qui t'est étranger, tu vivras contrarié,
chagriné, tourmenté ; tu en voudras aux hommes comme aux
dieux ; mais si tu ne juges tien que ce qui l'est vraiment — et tout le
reste étranger —, jamais personne ne saura te contraindre ni te barrer la
route ; tu ne t'en prendras à personne, n'accuseras personne, ne
feras jamais rien contre ton gré, personne ne pourra te faire de mal et tu
n'auras pas d'ennemi puisqu'on ne t'obligera jamais à rien qui pour toi soit
mauvais.

4.— A toi donc de rechercher des biens si grands, en gardant à l'esprit que,
une fois lancé, il ne faut pas se disperser en oeuvrant chichement et dans
toutes les directions, mais te donner tout entier aux objectifs choisis et remettre
le reste à plus tard. Mais si, en même temps, tu vises le pouvoir et
l'argent, tu risques d'échouer pour t'être attaché à d'autres
buts, alors que seul le premier peut assurer liberté et bonheur.

5.— Donc, dès qu'une image viendra te troubler l'esprit, pense à te
dire : « Tu n'es qu'image, et non la réalité dont
tu as l'apparence. » Puis, examine-la et soumets-la à l'épreuve
des lois qui règlent ta vie : avant tout, vois si cette réalité
dépend de nous ou n'en dépend pas ; et si elle ne dépend
pas de nous, sois prêt à dire : « Cela ne me regarde
pas. »


II

1.— Souviens-toi que le désir est tendu vers son objet tandis que le but de
l'aversion, c'est de ne pas tomber dans ce qu'on redoute. Si l'on est infortuné
en manquant l'objet de son désir, on est malheureux en tombant dans ce qu'on
voulait éviter. Donc, si tu ne cherches à fuir que ce qui est dépendant
de toi et contraire à la nature, il ne t'arrivera rien que tu aies voulu fuir.
Mais si tu cherches à éviter la maladie, la mort ou la misère,
tu seras malheureux.

2.— Supprime donc en toi toute aversion pour ce qui ne dépend pas de nous
et, cette aversion, reporte-la sur ce qui dépend de nous et n'est pas en accord
avec la nature. Quant au désir, pour le moment, supprime-le complètement.
Car si tu désires une chose qui ne dépend pas de nous, tu ne pourras
qu'échouer, sans compter que tu te mettras dans l'impossibilité d'atteindre
ce qui est à notre portée et qu'il est plus sage de désirer.
Borne-toi à suivre tes impulsions, tes répulsions, mais fais-le avec
légèreté, de façon non systématique et sans effort
excessif.


III
Pour tout objet qui t'attire, te sert ou te plaît,
représente-toi bien ce qu'il est, en commençant par les choses les
plus petites. Si tu aimes un pot de terre, dis-toi : « J'aime
un pot de terre. » S'il se casse, tu n'en feras pas une maladie. En serrant
dans tes bras ton enfant ou ta femme, dis-toi : « J'embrasse
un être humain. » S'ils viennent à mourir, tu n'en seras
pas autrement bouleversé.


IV
Quand tu te prépares à faire quoi
que ce soit, représente-toi bien de quoi il s'agit. Si tu sors pour te baigner,
rappelle-toi ce qui se passe aux bains publics : on vous éclabousse,
on vous bouscule, on vous injurie, on vous vole. C'est plus sûrement que tu
feras ce que tu as à faire si tu t'es dit : « Je vais
aller aux bains et exercer ma liberté de choisir en accord avec la nature. »
De même pour toutes tes autres tâches. Car, ayant fait cela, s'il arrive
quelque chose qui t'empêche de te baigner, tu auras la réponse toute
prête : « Je ne voulais pas seulement me baignererres
offensives. Tout peuple qui n'a par sa position que l'alternative entre le commerce
ou la guerre est faible en lui-même; il dépend de ses voisins, il dépend
des événements; il n'a jamais qu'une existence incertaine et courte.
Il subjugue et change de situation, ou il est subjugué et n'est rien. Il ne
peut se conserver libre qu'à force de petitesse ou de grandeur.
On ne peut donner en calcul un rapport fixe entre l'étete;tait
de cet avis : la chose à craindre, c'est l'opinion que la mort
est redoutable. Donc, lorsque quelque chose nous contrarie, nous tourmente ou nous
chagrine, n'en accusons personne d'autre que nous-mêmes : c'est-à-dire
nos opinions. C'est la marque d'un petit esprit de s'en prendre à autrui lorsqu'il
échoue dans ce qu'il a entrepris ; celui qui exerce sur soi un
travail spirituel s'en prendra à soi-même ; celui qui achèvera
ce travail ne s'en prendra ni à soi ni aux autres.


VI

Ne te monte jamais la tête pour une chose où ton mérite n'est
pas en cause. Passe encore que ton cheval se monte la tête en disant :
« Je suis beau » ; mais que toi, tu sois fier
de dire : « J'ai un beau cheval » ! Rends-toi
compte que ce qui t'excite c'est le mérite de ton cheval ! Qu'est-ce
qui est vraiment à toi ? L'usage que tu fais de tes représentations ;
toutes les fois qu'il est conforme à la nature, tu peux être fier de
toi : pour le coup, ce dont tu seras fier viendra vraiment de toi.


VII

Pendant un voyage en bateau, si le navire jette l'ancre et que tu mettes pied à
terre pour aller chercher de l'eau, tu ramasseras en chemin, ici un bigorneau, là
un petit bulbe de plante, mais il te faut concentrer ta pensée sur le navire,
te retourner sans cesse au cas o le pilote appelle ; s'il appelle, il
faut tout planter là, de peur d'être jeté à fond de cale
et ligoté comme du bétail. C'est pareil dans la vie ; si,
en guise de bigorneau, on te donne une petite femme ou un esclave, il n'y a pas de
mal à cela ; mais quand le pilote t'appelle, cours vers le navire
et laisse tout sans te retourner. Et si, en plus, tu n'es plus tout jeune, reste
à proximité du navire de peur de manquer l'appel.


VIII
N'attends pas que les événements arrivent
comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras
heureux.



IX
La maladie est une gêne pour le corps ;
pas pour la liberté de choisir, à moins qu'on ne l'abdique soi-même.
Avoir un pied trop court est une gêne pour le corps, pas pour la liberté
de choisir. Aie cette réponse à l'esprit en toute occasion :
tu verras que la gêne est pour les choses ou pour les autres, non pour toi.


X
Devant tout ce qui t'arrive, pense à rentrer
en toi-même et cherche quelle faculté tu possèdes pour y faire
face. Tu aperçois un beau garçon, une belle fille ? Trouve en
toi la tempérance. Tu souffres ? Trouve l'endurance. On t'insulte ?
Trouve la patience. En t'exerçant ainsi tu ne seras plus le jouet de tes représentations.


XI
Ne dis jamais, à propos de rien, que tu l'as
perdu ; dis : « Je l'ai rendu. » Ton enfant
est mort ? Tu l'as rendu. Ta femme est morte ? Tu l'as rendue. « On
m'a pris mon champ ! » Eh bien, ton champ aussi, tu l'as rendu. « Mais
c'est un scélérat qui me l'a pris ! » Que t'importe
le moyen dont s'est servi, pour le reprendre, celui qui te l'avait donné ?
En attendant le moment de le rendre, en revanche, prends-en soin comme d'une chose
qui ne t'appartient pas, comme font les voyageurs dans une auberge.


XII
1.— Si tu veux faire des progrès, laisse
tomber les réflexions du genre : « Si je néglige
mes intérêts, je n'aurai même pas de quoi vivre. »
« Si je ne suis pas assez sévère avec mon esclave, il me servira
mal. » Mieux vaut mourir de faim délivré du chagrin et de
la peur, que vivre dans l'abondance au milieu des angoisses. Mieux vaut être
mal servi par son esclave que malheureux.

2.— Commence donc par les petites choses. On gaspille ton huile, on vole ton vin ?
Dis-toi : c'est le prix de la tranquillité, c'est le prix d'une
‚me sans trouble. On n'a jamais rien pour rien. Quand tu as besoin de ton esclave,
souviens-toi qu'il peut ne pas venir et que, s'il vient, il exécutera peut-être
tes ordres à tort et à travers. Mais il n'a pas le pouvoir que ta tranquillité
dépende de lui.


XIII
Si tu veux progresser, accepte de passer pour un
ignorant et un idiot dans tout ce qui concerne les choses extérieures ;
n'essaie jamais d'avoir l'air instruit. Si certains ont bonne opinion de toi, méfie-toi.
Tu dois savoir qu'il n'est pas facile de suivre ce qu'enjoint la nature en s'attachant
aux objets extérieurs : si tu poursuis l'un de ces objectifs, il
est inévitable que tu négliges l'autre.


XIV
1.— Si tu souhaites que tes enfants, ta femme et
tes amis soient éternels, tu es un fou, car c'est vouloir que ce qui ne dépend
pas de toi en dépende ; que ce qui n'est pas à toi t'appartienne.
De même, si tu veux un serviteur sans défauts, tu es stupide, puisque
tu voudrais que la médiocrité soit autre chose que ce qu'elle est.
Mais si tu veux atteindre l'objet de tes désirs, tu le peux. Exerce-toi à
ce qui est en ton pouvoir.

2.— Tout homme a pour maître celui qui peut lui apporter ou lui soustraire
ce qu'il désire ou ce qu'il craint. Que ceux qui veulent être libres
s'abstiennent donc de vouloir ce qui ne dépend pas d'eux seuls :
sinon, inévitablement, ils seront esclaves.


XV
Souviens-toi de te comporter comme dans un banquet.
Quand le plat, faisant le tour des, convives, arrive devant toi, tends la main et
sers-toi comme il convient. S'il te passe sous le nez, n'insiste pas. S'il tarde,
ne louche pas dessus en salivant mais attends qu'il arrive devant toi. Fais de même
pour les enfants, pour une femme, pour les charges officielles, pour l'argent, et,
un jour, tu seras digne de boire à la table des dieux. Mais si, les choses
t'étant offertes, tu t'abstiens même d'y toucher, d'y jeter les yeux,
tu seras digne non seulement de boire avec les dieux, mais de régner comme
eux. C'est ainsi qu'ont vécu Diogène, Héraclite et leurs semblables,
s'égalant par là aux dieux et gagnant le renom d'hommes divins.



Dernière édition par Philippe de Plantagenêt le Mar 12 Juil - 22:41, édité 1 fois
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MessageSujet: XVI à LIII   Manuel d'Épictète - Ἐπίκτητος EmptyMar 12 Juil - 12:44

Citation :


XVI
Lorsque tu vois quelqu'un se lamenter sur son fils
parti en exil, ou parce qu'il a perdu ses biens, ne te laisse pas aller à
croire que ces événements font son malheur : ce qui cause
du chagrin à cet homme, ce n'est pas ce qui lui arrive (sinon cela ferait
le même effet à tel ou tel), mais l'opinion qu'il se fait de cet événement.
Cependant, ne refuse pas de t'associer raisonnablement à sa peine, et même,
au besoin, pleure avec lui ; prends seulement garde de ne pas pleurer
aussi en toi-même.


XVII
Souviens-toi que tu joues dans une pièce
qu'a choisie le metteur en scène : courte, s'il l'a voulue courte,
longue, s'il l'a voulue longue. S'il te fait jouer le rôle d'un mendiant, joue-le
de ton mieux ; et fais de même, que tu joues un boiteux, un homme
d'État ou un simple particulier. Le choix du rôle est l'affaire d'un
autre.


XVIII
Si un corbeau pousse un cri de mauvais augure, ne
te laisse pas entraîner par ton imagination : définis ce
dont il s'agit et dis-toi : « Rien de ce qui est annoncé là
ne me concerne ; seulement ma petite carcasse, ma petite fortune, ma petite
réputation, ma femme ou mes enfants. Quant à moi, pourvu que je le
veuille, tous les présages me sont favorables : car, quoi qu'il
résulte de ce signe, il est en mon pouvoir de faire tourner la chose à
mon profit. »


XIX
1.— Tu peux être invaincu, si jamais tu n'engages
de lutte où la victoire ne dépende pas de toi.

2.— Garde-toi d'estimer heureux un homme choisi pour une charge officielle,
ou très puissant, ou jouissant, pour une raison ou une autre, de l'estime
publique. En effet, si l'essence du bien réside dans ce qui dépend
de nous, il n'y a de raison ni d'être jaloux, ni d'être envieux. Quant
à toi, ce n'est pas général, magistrat ou consul que tu veux
être, mais libre ; or, pour y arriver, il n'y a qu'un chemin :
le mépris de ce qui ne dépend pas de nous.


XX
Souviens-toi que ce qui te cause du tort, ce n'est
pas qu'on t'insulte ou qu'on te frappe, mais l'opinion que tu as qu'on te fait du
tort. Donc, si quelqu'un t'a mis en colère, sache que c'est ton propre jugement
le responsable de ta colère. Essaye de ne pas céder à la violence
de l'imagination : car, une fois que tu auras examiné la chose,
tu seras plus facilement maître de toi.


XXI

Que la mort, l'exil et tout ce qui semble redoutable soient présents à
tes yeux tous les jours ; la mort surtout, et jamais tu n'auras de pensées
lâches, ni de désirs immodérés.


XXII
Si ton désir te pousse vers la philosophie,
prépare-toi à être partout en butte aux moqueries et aux sarcasmes ;
à entendre dire : « Voyez-le nous revenir en philosophe ! »
ou « Qu'est-ce qui nous vaut ce front superbe ? » Mais
toi, garde ton front de tous les jours ; tiens-t'en fermement aux conduites
qui te semblent les meilleures, conscient que c'est Dieu qui t'a mis à ce
poste. Et souviens-toi que, si tu restes constant dans ces principes, ceux qui au
début se moquaient de toi finiront par t'admirer ; tandis que si
tu ne te montres pas à la hauteur, on rira de toi deux fois plus fort.


XXIII
S'il t'arrive un jour d'accorder du poids aux objets
extérieurs par désir de plaire à quelqu'un, sache que tu réduiras
à néant tes principes de vie. Borne-toi donc à être toujours
philosophe ; mais si tu tiens aussi à le paraître, que ce
soit à tes propres yeux et tu en auras fait assez.


XXIV
1.— Ne te laisse pas décourager par des réflexions
du genre : « Je vais vivre sans honneur, je ne serai qu'un zéro. »
Si vivre sans honneur est un mal, aucun mal ne peut t'arriver par la faute d'autrui ;
rien de honteux non plus. Crois-tu qu'il dépende de tes efforts d'être
tiré au sort comme magistrat, invité à un banquet ? Pas
du tout. Alors, comment serait-ce un déshonneur de ne pas l'être ?
Comment peux-tu dire que tu n'es qu'un zéro, puisque tu n'es tenu d'être
quelque chose qu'au regard de ce qui dépend de nous (domaine où tu
peux prétendre aux plus grands honneurs) ?

2.— Tes amis resteraient sans secours ? Comment cela ? Ils ne recevraient
pas de tes mains leur petite pièce ? Tu ne les ferais pas nommer citoyens
romains ? Qui te dit que ces choses-là dépendent de nous et nous
regardent ? Qui peut donner à autrui ce qu'il n'a pas lui-même ?
- Alors procure-le toi, dira-t-on, pour nous en faire profiter.

3.— Si je peux me le procurer sans déchoir à mes propres yeux, en restant
loyal et sans bassesse, qu'on me montre le chemin, j'y vais. Mais si l'on veut que
je perde mes biens propres pour vous procurer des choses qui ne sont pas des biens,
considérez comme vous êtes injustes et ingrats. Et puis, qu'est-ce que
vous aimez le mieux ? De l'argent ou un ami loyal et digne d'estime ? Aidez-moi
à être tel au lieu de vouloir que j'agisse d'une façon qui me
ferait cesser de l'être.

4.— « Mais, dis-tu, ma patrie resterait sans secours quand je pourrais
l'aider. » Là encore, de quelle aide parles-tu ? Tu ne peux
lui offrir ni thermes, ni portiques ? Et alors ? Le forgeron lui offre-t-il
des chaussures, le cordonnier des armes ? Il suffit à chacun d'accomplir
sa tâche. En travaillant à fabriquer pour elle un citoyen de plus, plein
de loyauté et de respect de soi, ne ferais-tu rien pour elle ? — Si fait.
— Donc, tu peux, par toi-même, lui être utile.

5.— Quelle place aurai-je dans la cité ?-- Celle où tu pourras
rester loyal et digne d'estime. Mais si, voulant servir la patrie, tu réduis
à néant ces vertus, une fois perdus toute loyauté et tout respect
de toi, quels services pourrais-tu lui rendre ?


XXV
1.— Pour un festin, un discours, un conseil, on
t'a préféré quelqu'un d'autre. Si ce sont des biens, réjouis-toi
qu'ils lui échoient. Si ce sont des maux, ne te plains pas d'y avoir échappé !
D'ailleurs, souviens-toi aussi que si tu n'en fais pas autant que d'autres pour obtenir
ce qui ne dépend pas de nous, tu ne peux pas t'attendre aux mêmes résultats
qu'eux.

2.— Si tu ne vas pas rendre visite aux gens qui comptent, comment pourrais-tu être
récompensé comme ceux qui y courent ? Comment, si tu ne flattes
personne, obtenir autant que les flatteurs ? Tu as refusé de payer le
prix de ces faveurs et tu voudrais qu'on te les accorde pour rien ? Tu es injuste
et insatiable.

3.— Combien coûte une laitue ? Une obole, plus ou moins. Suppose que quelqu'un
donne une obole pour une laitue ; si, toi, tu ne donnes rien et ne reçois
rien, ne considère pas avoir eu moins que lui : il a sa laitue,
toi, l'obole que tu n'as pas donnée.

4.— Eh bien, là encore, c'est la même chose : on ne t'a pas
invité à un festin ? C'est que tu n'as pas donné le prix
auquel on estimait le repas. Et ce prix, c'étaient flatteries ou services.
Donc, si cela te sert, donne ton dû quel qu'en soit le prix. Mais si tu veux
être payé de retour sans rien donner, tu n'es qu'un insatiable et un
fou.

5.— N'as-tu rien obtenu à la place de ce repas ? Si : l'honneur
de n'avoir pas flatté qui tu ne voulais pas, de n'avoir pas eu à supporter
la morgue des serviteurs devant sa porte.


XXVI

L'expérience commune nous sert à comprendre ce que veut la nature.
Ainsi, quand le jeune esclave du voisin casse une coupe, nous sommes prêts
à dire : « Ce sont des choses qui arrivent. » Sache
donc que, si c'est une de tes coupes qu'on a cassée, tu dois avoir la même
réaction que pour celle du voisin. Applique cette règle aux choses
les plus graves. Quelqu'un perd son enfant, sa femme ? Chacun de dire :
« Nous sommes tous mortels. » Mais si l'on est soi-même
frappé par un deuil, on s'écrie aussitôt : « Hélas,
pauvre de moi ! » Nous devrions avoir à l'esprit la réaction
que nous avons eue en apprenant la nouvelle à propos de quelqu'un d'autre.



XXVII

De même que la marque n'est pas là pour faire rater la cible, de même
il n'y a pas de place pour le mal dans l'ordre universel.


XXVIII
Si on livrait ton corps au premier venu, tu serais
indigné ; et pourtant tu livres à n'importe qui ton jugement,
avec pouvoir d'y jeter trouble et confusion pour peu qu'on t'injurie, et tu n'as
pas honte.


XXIX

1.— Pour tout ce que tu entreprends, examine les tenants et aboutissants avant de
passer à l'action. Sans cela, tu seras d'abord plein de zèle, parce
que tu ne penseras à rien de ce qui va s'ensuivre, et puis, dès que
surgiront les difficultés, tu abandonneras lâchement la partie.

2.— Tu aimerais être vainqueur aux Jeux olympiques ? Moi aussi, par
les dieux ! Gagner aux Jeux, c'est bien agréable ! Mais, avant de
te lancer, examine un peu les tenants et aboutissants : l'abstinence sexuelle,
le régime, le renoncement aux friandises, les exercices sous la contrainte
et aux heures réglementaires, qu'on cuise ou qu'il gèle. Il ne faut
pas boire frais ; dans certains cas même pas de vin, s'en remettre
entièrement à son entraîneur comme à un médecin ;
ensuite, en luttant, piétiner dans la poussière au coude à coude
avec son adversaire, parfois se démettre un poignet, se tordre la cheville,
et peut-être recevoir le fouet pour finalement être vaincu.
3.— Pense à tout cela et après, si tu en as encore envie, entre
dans la carrière. Sinon, tu ne seras qu'un gamin qui joue tantôt aux
lutteurs, tantôt aux gladiateurs, tantôt aux sonneurs de trompette, tantôt
aux acteurs de tragédie. Un jour tu seras athlète, un autre gladiateur,
un autre rhéteur, un autre philosophe, mais jamais tu ne seras rien à
fond. Comme un singe, tu imiteras tout ce que tu vois, et tu choisiras tantôt
une chose, tantôt l'autre. Car tu ne te seras pas mis à la tâche
après réflexion, en ayant fait le tour de la question, mais au petit
bonheur, poussé par une éphémère envie.

4.— C'est ainsi que d'aucuns, en voyant un philosophe, en l'entendant parler
comme Euphratès (et pourtant, qui pourrait se vanter de parler comme lui ?),
veulent aussitôt se lancer dans la philosophie.

5.— Mais, mon brave, il faut d'abord examiner ce dont il s'agit ! Bien observer
ton caractère pour voir si tu pourras tenir. Tu as envie d'être champion
au pentathlon ou à la lutte ? Regarde tes biceps, tes cuisses, tes reins.
Nous ne sommes pas tous doués pour les mêmes choses.

6.— Crois-tu, en te mettant à la philosophie, que tu pourras boire et
manger comme à présent, céder à tes désirs et
te laisser emporter par la colère comme à présent ? Il
te faudra veiller, souffrir, quitter tes proches, endurer le mépris d'un petit
esclave, être tourné en dérision par les passants et, toujours,
avoir le dessous, qu'il s'agisse d'honneurs officiels, du pouvoir, de procès,
ou d'autres affaires de même farine.

7.— Voilà ce qu'il te faut examiner. Seras-tu prêt, alors, à
payer de ce prix l'insensibilité aux émotions, la liberté, la
sérénité ? Si c'est non, Il ne va pas plus loin. Ne sois
pas, comme les enfants, philosophe un jour, percepteur impôts le lendemain,
et puis rhéteur, et puis encore procurateur de César : tout
cela ne fait pas bon ménage ! Il faut que tu sois un ; bon
ou mauvais, il te faut cultiver ou bien la part qui dirige ton âme, ou alors
tes biens matériels ; consacrer tes efforts au dedans ou au dehors ;
c'est-à-dire régler ta vie en philosophe ou en homme ordinaire.


XXX
La plupart du temps, notre conduite se mesure à
l'aune de nos relations. Celui-ci est mon père ? Je dois prendre soin
de lui, lui céder en tout, supporter ses injures, ses coups. « Mais,
c'est un mauvais père ! » Eh bien, la nature ne t'a pas fixé
pour rôle de vivre avec un bon père, mais avec un père. « Mon
frère me fait du tort ! » Alors garde, vis-à-vis de
lui, le poste qui est le tien et ne te demande pas comment il se conduit, mais comment,
toi, tu dois te conduire pour suivre, dans tes choix, ce qu'enjoint la nature. Personne
ne te fera de mal, à moins que tu n'y consentes ; le mal ne viendra
que lorsque tu jugeras qu'on te fait du mal. De la même façon, examine
ce que doivent être tes relations avec tes voisins, tes concitoyens, le gouverneur
de ta province, et tu sauras quelle conduite adopter à l'égard de chacun
d'eux.


XXXI

1.— Pour se conduire avec piété envers les dieux, l'essentiel est d'avoir
d'eux une conception juste ; à savoir qu'ils existent et régissent
l'univers conformément au bien et à la justice. Ensuite, il faut être
personnellement résolu à leur obéir, à céder au
cours des événements et à le suivre de son plein gré,
en sachant que c'est un dessein idéal qui le gouverne. De cette façon,
jamais tu n'adresseras de reproches aux dieux, ni ne les accuseras de te négliger.


2.— D'ailleurs, il est exclu que cela t'arrive si tu ne te laisses pas emporter
par des buts qui ne dépendent pas de nous, Si tu choisis de ne voir le bien
et le mal que dans ce qui dépend de nous. De même, si tu considères
un mal ou un bien ce qui ne dépend pas de nous, si tu ne peux obtenir ce que
tu voulais ou s'il t'échoit ce que tu voulais éviter, tu t'en prendras
aux responsables et tu leur en voudras.

3.— Car la nature fait que tout être vivant cherche à éviter
et à fuir les événements qui lui semblent nuisibles, ainsi que
les causes qui les déterminent, tandis qu'il accueille avec gratitude les
événements conformes à son intérêt avec ce qui
les cause. Il est donc impossible, quand on se croit lésé, d'être
bien disposé envers l'auteur de ce tort supposé, tout comme on ne saurait
se réjouir du dommage lui-même.

4.— Voilà pourquoi on voit des fils injurier leur père quand celui-ci
refuse de leur donner une part de ce qu'ils considèrent comme des biens. Et,
de même, ce qui a dressé Etéocle contre Polynice, c'est de croire
que la tyrannie était un bien. C'est pour la même raison que le paysan
blasphème le nom des dieux, comme le marin, le marchand et ceux qui ont perdu
leur femme ou leurs enfants. Car, là où est l'intérêt,
là est la piété. En sorte que si l'on s'attache à diriger
ses désirs et ses aversions comme il convient, du même coup, on sera
assuré de se conduire avec piété.

5.— Pour ce qui concerne les libations et les sacrifices aux dieux, il convient d'agir
suivant les traditions de son pays, en état de pureté, sans négligence
ni oubli, mais sans excès de minutie non plus, et sans dépasser ses
moyens.


XXXII

1.— Quand tu as recours à la divination, souviens-toi que, puisque tu es venu
trouver le devin pour qu'il te l'apprenne, tu ignores ce qui doit arriver. Mais une
fois l'événement prévu, pour ce qui est de sa nature, tu la
connais si tu es vraiment philosophe : s'il s'agit de quelque chose qui
ne dépend pas de nous, ce ne saurait être ni un bien, ni un mal.

2.— Donc, quand tu vas voir un devin, laisse derrière toi désirs et
aversions, ne t'avance pas en tremblant mais en homme pénétré
de cette vérité que tout ce qui peut arriver est indifférent
et ne te concerne en rien. Alors, quel que soit l'événement, tu seras
en mesure d'y faire face comme il convient et sans que personne ne puisse t'en empêcher.
Donc, n'aie pas peur, va vers les dieux comme on va demander un conseil. Pour le
reste, une fois le conseil reçu, note bien qui était ton conseiller ;
note à qui tu désobéirais si tu t'écartais de son avis.


3.— Suis le précepte de Socrate : ne recours à la divination
qu'en des circonstances où tout porte sur l'issue d'un événement,
quand ni le raisonnement, ni aucun art d'une autre sorte ne peuvent plus t'être
d'aucun secours pour connaître ce qui t'attend. Par conséquent, s'il
te faut risquer a vie pour un ami ou pour la patrie, ne demande pas au devin si tu
dois le faire : s'il t'annonçait que les présages sont mauvais,
il est clair que cela signifierait la mort, ou une quelconque mutilation, ou encore
l'exil ; ici, la raison commande, même dans ces circonstances, de prêter
secours à son ami et de risquer sa vie pour la patrie. Pense au plus grand
des devins, l'oracle de Delphes, qui jeta hors du temple l'homme qui avait choisi
de ne pas secourir son ami.

XXXIII
1.— A partir d'aujourd'hui, décide d'un style,
d'un genre de vie que tu garderas aussi bien seul que devant les autres.

2.— La plupart du temps, tais-toi ou, si tu veux parler, attends d'y être contraint
et fais-le en peu de mots. Exceptionnellement, quand l'occasion t'y convie, parle,
mais ne t'occupe pas de l'actualité : combats de gladiateurs, courses
de chevaux, jeux du stade, nourritures et boissons ; ici ou ailleurs,
tiens ta langue et, surtout, pas de réflexions sur les gens, en bien ou en
mal, ni de comparaisons.

3.— Aiguille, autant que faire se peut, les conversations de ceux avec qui tu te
trouves sur des sujets convenables. Si tu te trouves seul au milieu de gens que tu
ne connais pas, tais-toi encore.

4.— Ris rarement et pas à tout propos ni à gorge déployée.

5.— Abstiens-toi de prêter serment, sinon en toute occasion, du moins chaque
fois que c'est possible.

6.— Laisse tomber les invitations à dîner, officielles ou privées.
Et, si un jour les circonstances justifient que tu t'y rendes, sois extrêmement
attentif à ne pas te laisser aller à la vulgarité. Car si ton
partenaire est plein de boue, en luttant avec lui, même si tu étais
propre en arrivant, tu en sortiras tout crotté.

7.— Pour ce qui concerne le corps, soigne-le autant qu'il faut pour répondre
aux besoins : nourriture, boisson, vêtements ; un toit
et des esclaves. Tout ce qui est pour la galerie, tout le luxe, rejette- le.

8.— Quant au sexe, dans la mesure du possible, garde-toi pur jusqu'au mariage.
Quand tu fais l'amour, prends ta part de ce qui est permis. Toutefois, ne deviens
pas bégueule envers ceux qui se livrent à la fornication, ne te pose
pas en censeur de ces gens- là. Ne va pas non plus proclamer partout que tu
es continent.

9.— Si l'on te rapporte qu'un tel a dit du mal de toi, ne cherche pas à
te défendre de ses accusations, mais réponds simplement : « Je
vois qu'il ne connaissait pas tous mes défauts, sinon il en aurait dit bien
davantage ! »

10.— Il n'est pas nécessaire d'aller souvent au spectacle. Mais, si un jour
l'occasion se présente, fais voir à tous que c'est à toi que
va ta préférence ; applique-toi à vouloir que ce
qui arrive arrive, et que le meilleur gagne : de cette façon, rien
ne viendra te contrarier. Défense absolue de crier, de te moquer d'un concurrent
ou de te passionner outre mesure. Une fois sorti, ne discute pas longuement de ce
que tu viens de voir ; toutes ces choses n'ont aucun rapport avec ton
progrès moral. Ce serait la preuve que tu t'es passionné pour le spectacle.

11.— Ne va pas pour un oui pour un non écouter des lectures publiques. Mais,
une fois dans l'auditoire, garde une attitude à la fois digne, tranquille
et sans provocation.

12.— S'il te faut rendre visite à quelqu'un, surtout s'il fait partie de ceux
que l'opinion publique place aux sommets du pouvoir, demande-toi ce qu'auraient fait
Socrate ou Zénon à ta place et tu n'auras plus le moindre doute sur
la conduite à tenir en cette circonstance.

13.— Lorsque tu te rends chez un personnage influent ; prévois
qu'il ne sera pas chez lui, qu'on te fermera la porte au nez en la faisant claquer
bien fort et qu'on ne se souciera pas de toi le moins du monde. Si, malgré
tout, ton devoir te commande d'insister, vas-y et montre-toi à la hauteur
des circonstances ; mais ne te dis jamais : « Le jeu n'en
valait pas la chandelle. » C'est une réflexion vulgaire et d'un
esprit esclave des choses extérieures.

14.— Au cours de la conversation, abstiens-toi de t'étendre sur tes actions
passées, sur les risques que tu as pris : car s'il t'est doux de
te remémorer les dangers que tu as courus, le récit de tes aventures
n'a pas les mêmes charmes pour les autres.

15.— Évite également de faire rire : car non seulement cela
peut facilement tomber dans la vulgarité, mais cela risque, en plus, de faire
abandonner à tes interlocuteurs leur retenue envers toi.

16.— Un autre terrain glissant, c'est quand on en vient à parler de choses
obscènes. Quand cela se produit, si c'est possible, n'hésite pas à
reprendre celui qui a commencé. Sinon, exprime au moins clairement, par ton
silence, ta rougeur et ton air réprobateur, que cette conversation te déplaît.


XXXIV
Quand il te vient l'envie d'un plaisir, comme pour
les autres sortes de représentations, prends garde de ne pas céder
à sa violence : laisse reposer la chose et accorde-toi un délai,
songe à ces deux instants : celui où tu goûteras le
plaisir et celui où, après y avoir goûté, tu en auras
le regret et t'insulteras toi-même tout bas. Oppose à cela la joie que
tu éprouveras et les louanges que tu t'adresseras, si tu t'abstiens. Si tu
trouves opportun de passer à l'acte, fais attention de ne pas succomber à
la douceur agréable et séduisante de la chose. Imagine, pour y résister,
combien précieuse est la conscience d'avoir remporté cette victoire-là.



XXXV

Lorsque tu en arrives à la conclusion qu'il faut faire une chose, fais-la,
et ne cherche pas à t'en cacher même si les gens risquent d'en penser
du mal. Car ou bien tu as tort d'agir ainsi, et il ne fallait pas le faire, ou bien
tu as raison, et tu n'as pas à craindre les reproches injustifiés.



XXXVI
De même que les phrases « il fait
jour » et « il fait nuit » ont une grande valeur
en tant que propositions disjointes, mais ne veulent rien tire si on les joint, de
même, choisir la plus grosse part, si c'est valable du point de vue du corps,
quand il s'agit de sociabilité, dans un banquet, cela n'est pas bien. Donc,
quand tu dînes avec quelqu'un, ne considère pas seulement la valeur
des plats pour le corps, veille aussi à respecter ton hôte.


XXXVII

Si tu te lances dans une entreprise qui dépasse tes forces, non seulement
tu te conduis comme un idiot, mais tu négliges d'accomplir ce qui était
dans tes possibilités.


XXXVIII
Tout comme tu fais attention, en te promenant, à
ne pas marcher sur un clou et à ne pas te tordre la cheville, fais attention
aussi à ne pas faire de mal à ce qui dirige ton âme. En gardant
cette nécessité à l'esprit au seuil de chaque entreprise, nous
ferons plus sûrement ce que nous avons à faire.


XXXIX
Le corps est pour chacun la mesure des richesses,
comme le pied est celle de la chaussure. Si tu t'en tiens à ce critère,
tu garderas la mesure. Mais si tu vas au-delà, tu seras forcément entraîné
comme du haut d'une falaise. Pour la chaussure, si tu vas au-delà des besoins
du pied, tu la voudras couverte d'or, puis teinte en pourpre, puis brodée.
Une fois qu'on a passé la mesure, il n'y a plus aucune limite.


XL

Dès qu'elles ont passé quatorze ans, les hommes appellent les femmes
maîtresses. Elles, voyant que leur unique intérêt est de coucher
avec eux, commencent à se maquiller et mettent en cet art toutes leurs espérances.
Il faut donc leur faire comprendre que leur seule gloire est de donner à tous
l'image d'une vie réglée et d'une âme pudique.


XLI

C'est la marque d'un naturel débile que de s'attarder aux choses du corps,
comme de passer trop de temps à prendre de l'exercice, à manger, à
boire, à faire ses besoins, à copuler. Tout cela, il faut le faire
comme en passant ; c'est sur notre jugement que nous devons porter toute
notre attention.


XLII

Face à quelqu'un qui te fait du tort par sa conduite ou ses propos, souviens-toi
que s'il agit ainsi, c'est qu'il pense avoir raison. Il ne lui est pas possible de
régler sa conduite sur ta façon de penser : c'est la sienne
qui le guide, et, si elle est erronée, il se fait du tort à soi-même
en demeurant dans son erreur. En effet, si une vérité complexe passe
pour un mensonge, ce n'est pas la complexité qui est en faute, mais bien celui
qui se trompe. En te fondant sur ce principe, tu garderas ton sang-froid face à
ceux qui t'insultent : chaque fois, tu n'auras qu'à te dire :
« C'est ce que lui pense. »


XLIII

Toute chose a deux poignées : l'une permet de la porter, l'autre
non. Si ton frère te fait du tort, ne prends pas cela en te disant qu'il te
fait du tort (c'est le côté impossible à porter), dis-toi plutôt
que c'est ton frère, ton compagnon, tu prendras ainsi la chose du côté
où l'on peut la porter.


XLIV

Il n'est pas logique de dire : « Je suis plus riche que toi, donc
je vaux mieux que toi » ; « Je parle mieux que toi, donc
je vaux mieux que toi. » Ce serait bien plus logique de dire : « Je
suis plus riche que toi, donc ma fortune vaut mieux que la tienne » ; « Je
parle mieux que toi, donc mon éloquence vaut mieux que la tienne. »
Car tu n'es ni ta fortune ni ton éloquence.


XLV

Un tel se lave vite : ne dis pas qu'il se lave mal, mais qu'il se lave
vite. Si un autre boit beaucoup de vin, ne le traite pas d'ivrogne, dis simplement
qu'il boit beaucoup. En effet, qu'en sais-tu, avant d'avoir pesé leurs raisons ?
De cette façon, tu éviteras, devant ce que tu te représentes
d'un objet, de lui donner une autre représentation.


XLVI

1.— Où que tu te trouves, ne te présente jamais comme philosophe. Ne
parle pas longuement, devant des profanes, des principes de la philosophie, agis
plutôt suivant ces principes. Par exemple, dans un banquet, ne dis pas comment
on doit manger, mange seulement comme il faut. Souviens-toi de Socrate :
il s'était si bien débarrassé de toute envie de briller que,
lorsqu'on venait le trouver pour se faire présenter à des philosophes,
c'était lui qui conduisait les gens, tant il lui était égal
d'être méconnu.

2.— Si, dans une assemblée de profanes, la conversation tombe sur un principe
philosophique, d'une manière générale, abstiens-toi d'intervenir :
tu risquerais fort de recracher des bribes de savoir mal digéré. Si
un jour on te dit que tu ne sais rien, et que tu n'en es pas mortifié, sache
que tu es en bonne voie. Ce n'est pas en lui mettant l'herbe sous le nez que les
moutons montrent au berger qu'ils ont bien mangé ; c'est à
leur laine et à leur lait qu'on s'en aperçoit, après qu'ils
ont digéré leur nourriture ; eh bien, fais de même :
ne va pas mettre sous le nez des profanes les principes de la philosophie, fais-leur
en voir les effets quand tu les as digérés.


XLVII

Si tu te contentes de peu pour les besoins du corps, ne va pas en faire parade. Si
tu ne bois que de l'eau, ne va pas dire à tout propos : « Je
ne bois que de l'eau. » Si un jour tu décides de t'entraîner
à supporter la douleur, fais-le en privé et non devant tout le monde.
N'embrasse pas les statues. Si tu as trop soif, prends de l'eau fraîche dans
ta bouche et recrache-la sans rien dire à personne.


XLVIII

1.— Attitude et caractère de l'homme ordinaire : il n'attend rien,
en bien ou en mal, de soi-même, et tout des circonstances extérieures.
Attitude et caractère du philosophe : il attend tout, en bien comme
en mal, de soi-même.

2.— Signes distinctifs de l'homme en progrès : il ne blâme
personne, ne loue personne, ne reproche rien à personne, n'accuse personne ;
il ne dit jamais rien qui tende à faire croire qu'il sait quelque chose ou
qu'il est quelqu'un. En cas d'échec ou d'obstacle, il ne s'en prend qu'à
soi-même. S'il reçoit des éloges, il rit en secret de celui qui
les fait ; si on le critique, il ne cherche pas à se défendre.
Il marche comme les malades, attentif à ne pas brusquer le membre en voie
de guérison tant qu'il n'est pas cicatrisé.

3.— Tout désir lui vient de lui seul ; quant à l'aversion,
il est entraîné à n'en éprouver que pour ce qui, tout
en dépendant de nous, est contraire à la nature. Ses inclinations,
quel qu'en soit l'objet, sont modérées. S'il passe pour stupide ou
ignorant, il n'en a cure. En un mot, le seul ennemi qu'il ait à redouter,
c'est lui- même.


XLIX

Si quelqu'un se vante de comprendre et d'expliquer les écrits de Chrysippe,
dis-toi que, si Chrysippe n'avait pas écrit dans un style obscur, celui-là
n'aurait pas eu de quoi se vanter. Mais moi, qu'est-ce que je cherche ? A connaître
la nature afin de la prendre pour guide. Je cherche donc un homme qui puisse m'expliquer
la nature. J'entends dire que Chrysippe est cet homme : je vais le trouver,
et je ne comprends rien à ses écrits : je cherche alors
quelqu'un pour me les expliquer. Jusque-là, rien qui mérite le respect.
Quand j'ai trouvé cet interprète, il me faut me conformer aux principes
énoncés : c'est cela qui mérite le respect. Mais
si c'est seulement l'explication de texte que j'admire, ne serais-je pas, plutôt
que philosophe, devenu un grammairien qui gloserait Chrysippe au lieu d'Homère ?
Il y aurait de quoi rougir si, lorsqu'on me dit : « Apprends-moi
à lire Chrysippe », je n'étais pas en mesure de montrer
une conduite semblable et conforme à ses écrits.


L

Une fois que tu t'es fixé des buts, tu dois t'y tenir comme à des lois
qu'on ne peut transgresser sans impiété. Et quoi que l'on dise de toi,
n'y prête pas attention : cela ne te concerne plus.


LI

1.— Combien de temps encore vas-tu attendre pour t'estimer digne des plus grands
biens, et cesser enfin d'enfreindre la règle qui doit déterminer ta
vie ? Tu connais les principes qui doivent fonder ta réflexion ;
c'est assez réfléchi ! Quel maître attends-tu, à
présent, pour te décharger, sur lui, du soin de ton progrès
moral ? Tu n'as plus quinze ans, tu es un homme m°r. Si désormais
tu te montres négligent, si tu prends les choses à la légère,
si tu continues à échafauder projet sur projet en reculant sans cesse
le jour où tu devras enfin prendre soin de ta vie, tu ne feras aucun progrès,
et, sans t'en rendre compte, tu finiras par vivre et mourir comme un homme ordinaire.


2.— Décide donc tout de suite de vivre en adulte résolu à progresser.
Que tout ce qui te semble le meilleur te soit une loi incontournable. En présence
de quelque tâche pénible ou agréable, glorieuse ou honteuse,
dis-toi que tu dois te lancer ; que les Jeux olympiques sont ouverts ;
que tu ne peux plus tergiverser et qu'en un seul jour une seule action peut anéantir
ou confirmer ton progrès moral.

3.— C'est ainsi que se comportait Socrate qui n'écoutait, en toutes circonstances,
que la règle dictée par la raison. Pour toi — même si tu n'es
pas encore Socrate — vis au moins en t'efforçant de l'imiter.


LII

1.— Le premier domaine de la philosophie et le plus indispensable, c'est la mise
en pratique des principes, comme, par exemple, l'interdiction de mentir. Le second
concerne les démonstrations : pourquoi il ne faut pas mentir, par
exemple. Le troisième concerne l'établissement et l'articulation de
ces démonstrations : ce qui explique, par exemple, qu'on est en
présence d'une démonstration ; ce que sont une démonstration,
une déduction, le vrai, le faux.

2.— Par conséquent, si le troisième domaine est indispensable
pour accéder au second, comme le second pour accéder au premier, le
plus indispensable, le terme de toute recherche, c'est le premier. Seulement, nous
faisons tout à l'envers : nous nous attardons au troisième,
nous lui consacrons tous nos efforts en oubliant complètement le premier.
Voilà pourquoi nous mentons sans cesse en étant prêts, cependant,
à dégainer le raisonnement qui prouve qu'il ne faut pas mentir...


LIII

En toute occasion, rappelle-toi ces mots :
« Emmène-moi, Ô Zeus ! et toi, Ô Destinée !

Où vous avez formé le voeu de me conduire.
Je vous suivrai sans peur. Mais si, par lâcheté,
Je résiste, je sais qu'il faut vous obéir. »


2.— « L'homme qui, sachant qu'il doit mourir, sait quitter la vie dignement.
On le nomme sage car il connaît les secrets des dieux. »


3.— « Eh bien, Criton, si c'est la volonté des dieux, qu'il
en soit ainsi. »


4.— « Anytos et Mélitos peuvent me tuer, ils ne peuvent me nuire. »

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Manuel d'Épictète - Ἐπίκτητος
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